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8 décembre 2022
admin
Une histoire singulière
Au sein de la Nouvelle-Calédonie, l’histoire de la colonisation des îles Loyauté fait figure d’exception. Traditionnellement ouvertes aux migrations extérieures, annexées tardivement par la France, jugées inaptes à la colonisation pénale et civile, mais profondément marquées par les luttes d’influence religieuses, les îles Loyauté ont développé une identité unique.Les îles Loyauté furent découvertes par les Européens en 1793. Venant de Nouvelle-Zélande et coupant un peu court au sud, Raven, capitaine d’un navire marchand anglais, découvrit des îles formant un ensemble qu’il nomma « Loyalty Islands » pour des raisons qui demeurent inconnues. Selon certains historiens, les îles gagnèrent ce nom en raison du caractère « loyal » de leurs habitants.
Peuplées par des Mélanésiens, les Loyauté furent par la suite un lieu d’installation pour les immigrants des Tonga, maîtres charpentiers, les navigateurs polynésiens, les pêcheurs samoans qui furent intégrés au sein des chefferies en raison de leur savoir-faire. Ouvéa connut plusieurs migrations polynésiennes entre le XVIe et le XVIIe siècle. Selon la tradition orale, elles venaient principalement de Wallis, dont le nom en langue est « Uvéa ».
Dès le début du XIXe siècle, les chasseurs de baleines et de cachalots se sont intéressés aux richesses en cétacés des mers du Sud. À partir de 1810-1820, les bateaux relâchaient aux îles Loyauté et dans le nord de la Grande Terre pour s’approvisionner en eau et en vivres. Une station pour l’extraction de l’huile de baleine a même fonctionné à Lifou. Mais le remplacement de cette huile par le pétrole et l’épuisement des bancs de baleines entraînèrent la fin de cette activité en Nouvelle-Calédonie après 1860.
L’appât du bois de santal, et le « blackbirding » – le trafic de main-d’œuvre des îles du Pacifique vers l’Australie – attirent aussi très tôt les trafiquants et les commerçants australiens. Ces arrivants seront également intégrés à la société locale qui bénéficiera ainsi de leurs apports techniques et de leur esprit industrieux.



La cartographie et l’hydrographie des îles Loyauté ne furent réalisées qu’en 1827 et 1840 par Jules Sébastien Dumont d’Urville, l’un des plus grands explorateurs du Pacifique, passionné par l’astronomie et les sciences naturelles.
C’est également en 1840 que les teachers de la London Missionary Society (LMS) s’établirent aux îles Loyauté pour évangéliser les autochtones et les convertir au protestantisme. La Mission mariste française, bénéficiant du soutien de l’État et de l’armée, s’installa de son côté dans les îles, le 20 décembre 1843, pour tenter de convertir les autochtones au catholicisme. Les îles Loyauté devinrent alors le théâtre, souvent sanglant, de sévères luttes de pouvoir entre les pasteurs protestants et les missionnaires catholiques. La conversion au protestantisme des chefs Naisseline à Maré (1848) et Boula à Lifou (1851) permit aux teachers Tataïo et Fao de s’implanter définitivement. Plus tard, des pasteurs européens s’installeront à Ouvéa, en 1856.
À cette époque, les autochtones utilisaient leur langue maternelle et, au besoin, le bichlamar, un pidgin anglo-mélanésien utile pour communiquer avec les commerçants ou entre les divers peuples mélanésiens. Les missionnaires protestants ont privilégié quelques-unes des langues autochtones afin de mieux évangéliser les « indigènes » — comme on appelait les Kanaks à l’époque — des îles : le drehu à Lifou, le nengone à Maré et le iaaï à Ouvéa, tandis que les missionnaires catholiques préférèrent le français.
Le succès rencontré par les missionnaires protestants explique que les îles Loyauté sont, aujourd’hui encore, à forte majorité protestante et que de nombreuses traditions restent vivantes (religieuses, culinaires ou sociologiques, mots d’origine anglaise dans les langues des îles, jeu du cricket…).
Cette histoire particulière et les métissages issus des migrations successives ont fait des Loyaltiens des Kanak « différents ». La double origine mélanésienne et polynésienne est attestée par la forme des cases — sanctuaire et symbole du clan — tantôt ronde et typiquement mélanésienne, tantôt carrée d’origine polynésienne. Les métissages avec les marins européens des siècles passés se retrouvent encore sur les visages des Loyaltiens d’aujourd’hui : traits fins, peau claire et cheveux lisses aux reflets blonds… L’isolement en a fait des marins, les migrations ont conforté leur sens de l’hospitalité, la terre généreuse a stimulé leur agriculture, les antagonismes religieux et politiques ont renforcé leur indépendance d’esprit, et la vivacité de la coutume a soudé leur communauté.


